Saga Suikoden, attention les secousses (air connu)
Toc
toc... Mais qui voilà ? Papy Suikoden ! J'avais un peu perdu de vue cette
sympathique série japonaise. La faute à un style technique vieillot,
en particulier dans ses graphismes et systèmes de combat, un brin désuet
en cette période de débauche d'effets visuels et de remise en
cause des systèmes établis. Pour tout dire le dernier épisode
vraiment marquant date de 2002, Suikoden III, à l'époque où
le moindre RPG arrivant sur PS2 était accueilli avec plaisir vu la pauvreté
de la production en ces années maudites. Aujourd'hui la donne est fort
heureusement différente, en 2006 l'amateur éclairé de RPG
ne sait plus où donner du pad tellement les sorties s'enchaînent
à un rythme effréné. C'est le moment choisi par les compères
de Konami pour nous proposer le cinquième numéro de leur saga
fleuve. Les bougres, ils savent bien qu'ils ont des choses à se faire
pardonner, l'épisode précédent sorti sur PS2 ayant subi
les pires critiques (le IV, mal fichu, lent, compliqué à l'extrème).
Comme toute les séries phare du RPG made in Japan, les productions estampillées
"Suikoden" proposent des bases immuables : un nombre proprement dantesque
de personnages jouables (les fameuses 108 étoiles de la destinée),
plusieurs systèmes de combat (traditionnel, duel, armées), une
aventure épique mettant en scène de véritables dynasties
médiévales et des intrigues politiques complexes, un château
à gérer. Le contrat est respecté avec cet opus, Suikoden
V prend place dans un univers classique d'héroïc-fantasy, vous y
incarnez un jeune Prince dans le royaume de Falena, un matriarcat dirigé
par votre mère la Reine Arshtat. C'est une époque trouble, le
vol d'une des trois Runes Sacrées a obligé la Reine à utiliser
le pouvoir dévastateur de la Rune du Soleil, entraînant la destruction
d'un territoire entier ! Depuis, plusieurs familles nobles complotent en vue
de la prochaine échéance politique, un tournoi traditionnel au
cours duquel s'affrontent les meilleurs guerriers de la contrée pour
obtenir la main de la fille d'Arshtat, Lymsleia, future prétendante au
trône. Un événement tragique va mener notre Prince et sa
petite troupe de fidèles à quitter Falena pour entrer en résistance.
Voila résumé en quelques phrases les dix premières heures
de jeu. Oui vous avez bien lu, il faut environ 10 lonnnnngues heures aux auteurs
pour poser le début de leur intrigue. Ce préambule extrêmement
lent aura probablement raison des plus impatients d'entre nous. Pour tout dire
on assiste à une suite de dialogues plus ou moins insipides visant à
présenter les (très) nombreux protagonistes. On vous ballade de
lieux en lieux avec le minimum syndical niveau gameplay : quelques combats aléatoires
beaucoup trop faciles (car dans cette première partie vous êtes
accompagné de personnages hyper-balaises), une exploration limitée
(bloqué par des frontières artificielles, frustrant), une avalanche
d'informations à absorber pas forcément utiles (qui fait qu'on
passe parfois à coté de l'essentiel). Mais passé cette
douloureuse épreuve de mise en place on découvre au fur et à
mesure de notre progression tout le charme de Suikoden, que je m'empresse de
vous narrer par le menu.
Naïf
et épuré
Loin
des beautés renversantes des derniers titres sortis sur PS2 (Grandia
III, Rogue Galaxy, Final Fantasy XII, pour ne parler que des RPG) Suikoden V
joue la carte de la simplicité graphique, dans un style naïf qui
sied à merveille aux personnages. Il est très étonnant
de constater qu'en quelques traits les auteurs arrivent à donner une
identité visuelle forte aux dizaines d'intervenants qui se croisent.
Leur représentation en 3D est une réussite, avec un soin particulier
apporté aux accessoires et tenues vestimentaires. Les séquences
cinématiques qui marquent les points importants du scénario sont
aussi très stylisées, c'est la seule occasion d'entendre les voix
des persos. Tout cela est très classieux, pas super-détaillé
mais d'une touche unique. On en dira pas autant des décors, coincés
dans une vue trois-quart éloignée, presque isométrique,
ils manquent singulièrement de personnalité. Les grandes bâtisses
sont désespérément vides, les villes manquent de vie, sans
parler de la vue en combat, aussi plate que notre amie Jane Birkin. Il est impossible
de placer la caméra comme on l'entend, la seule option donnée
au joueur est un zoom totalement inutile.
Contrairement à la mode actuelle de faciliter la prise en main pour les
débutants, ce Suikoden balance d'entrée sa tonne de menus peu
ergonomiques dans lesquels on se sent égaré lors du premier contact.
Gérer son arsenal conséquent (équipement, objets, runes),
faire évoluer moult compétences de ses personnages toujours plus
nombreux, faire du commerce d'import-export entre les cités, y'a du taf.
Voyons cela en détail. Coté habillage, on peut attribuer huit
pièces d'équipement, sauf les armes qui restent propres à
chaque héroïnes et héros. Pour faire évoluer ses dernières
il faudra faire appel aux forgerons présents dans chaque métropole.
Coté Runes, qui permettent d'accéder à la magie dans la
série, chacun pourra en équiper jusqu'à trois différentes.
Certaines sont très classiques, Feu, Eau, Terre, etc, d'autres plus originales
ajoutent des effets positifs ou négatifs (poison, silence, régénération,
et tutti quanti). Le nombre de sorts qu'un perso peut lancer est limité
par son niveau d'expérience, ainsi que sa maîtrise de l'élément
concerné (qui est innée et notée sur une échelle
de "E" -très mauvais- à "A" -excellent-, voire
"S" -parfait-).
Chaque perso est déterminé par des caractéristiques chiffrées
(Attaque physique et magique, Défense physique et magique, Vitesse, Chance...)
et un niveau dans chacune des 10 compétences (de "E" à
"S" comme pour les runes). Ces 10 Skills (6 physiques, 4 magiques)
augmentent de manière exponentielle des attributs en combat, par exemple
la compétence "Technique" augmente la précision (pourcentage
de chance de frapper l'ennemi) et les chances de contre-attaque, la compétence
"Incantation" accélère l'utilisation de la magie. On
trouve même des skills uniques propres à certains héros.
Pour augmenter la note de ses compétences il faudra avoir amassé
suffisamment de "Skill Points" en combat puis payer grassement des
mentors qui se chargeront de votre formation. Le point primordial étant
que chaque individu possède des affinités avec certaines compétences,
et par conséquent leur développement est moins coûteux,
il convient donc de bien analyser les stats de ses poulains et pouliches avant
d'investir dans leur éducation ;-)
Les combats restent épurés, "old school" comme dirait
l'autre. Lorsqu'on se déplace en zone dangereuse (hors agglomération),
ils interviennent aléatoirement toutes les 5 secondes, sans qu'on puisse
les éviter de quelque manière que ce soit. Après le basculement
en mode "fight", on se retrouve avec la sempiternelle présentation
: votre groupe d'un coté (jusqu'à 6 membres actifs, plus 3 en
réserve !) et l'ennemi aligné docilement en face. Du tour par
tour bien pépère vous attend, on choisi tranquillement ses actions
pour tous les participants, puis on valide le tout pour lancer la bagarre !
On peut fuir, tenter de corrompre, ou même laisser l'affrontement se dérouler
en mode automatique (vos persos réalisent tous une attaque physique de
base). Quelques subtilités viennent heureusement agrémenter ce
sombre tableau. Pour vaincre les adversaires coriaces il faut mettre à
niveau son équipement, tenir compte de la portée de son arme (courte,
moyenne ou longue) pour optimiser ses dégâts, changer la formation
de son groupe pour gagner divers bonus (en attaque ou en défense), réaliser
des attaques en coopération pour peu que vos persos aient des affinités
entre eux, bien gérer sa magie puisque les sorts sont en quantité
limitée, et penser aussi à quelques items fort utiles. Au besoin
on hésitera pas à effectuer un roulement en piochant de nouveaux
combattants dans sa réserve.
Pendant
ce temps, à Chateauvallon...
Dans
la catégorie combat on retrouve aussi les anecdotiques duels, ces affrontements
mano-a-mano se déroulant sur le mode papier-ciseaux-caillou. Votre opposant
vous donne un indice par la phrase qu'il prononce avant de lancer son action
(attaque normale, spéciale ou garde), vous avez alors 3 secondes pour
faire votre choix. En cas d'égalité il faut juste pilonner les
boutons du pad pour vaincre l'ennemi. Pas de quoi s'arracher la moumoute de
plaisir, mais ça détend.
Plus intéressant, les phases "wargame" ont été
grandement améliorées. Ces batailles massives entre armées
fonctionnent elles aussi sur le principe forces/faiblesses, par exemple vos
troupes d'infanterie sont minables face à la cavalerie mais très
puissantes contre les archers. L'épisode V ajoute une touche de temps
réel rendant beaucoup moins soporifique ses passages obligés,
d'autant plus que vos héros y participent (ils peuvent utiliser des "coups
spéciaux"). Quand une quizaine de troupes se déplacent simultanément
on fait moins les malins, du coup ;-) Certaines
batailles se déroulent même sur l'océan. Passé les
premiers échanges servants de didacticiel, on est donc surpris positivement
par la gestion nerveuse et complexe de ses bataillons, avec l'appui stratégique
de ses conseillers on apprend vite à utiliser l'environnement pour vaincre
avec le moins de pertes possibles, gagnant au passage divers bonus en fric et
en matos.
Suikoden V est assez agaçant concernant les temps et surtout la fréquence
de ses chargements. On a droit à un écran "loading"
durant plusieurs secondes dès qu'on quitte une zone, avant des événements
scriptés ou après chaque combat. Pénible. La vaste carte
du monde en 3D servant à voyager entre villes et donjons est l'une des
plus laide qu'on ait vu depuis des lustres. On a presque envie de fermer les
yeux pour avancer à l'aveuglette, bercé par la musique symphonique
japonisante.
Passé la première dizaine d'heures d'explication de texte assez
lourde, nous l'avons dit, on commence à entrevoir toutes les capacités
du jeu et le plaisir monte lentement (relisez cette phrase en pensant à
votre dernière tentative de drague au Macumba 2000 ;-). Il faudra encore
avancer de nombreuses heures dans l'aventure pour obtenir notre fameux château,
l'endroit fétiche du fan de la série, là où vos
108 "Stars" seront hébergées. A partir de cet instant
la folie du recrutement s'empare de vous, les plus maniaques visitent et revisitent
100 fois le moindre recoin de terre, à la recherche du héros qui
aurait pu leur échapper ;-) Certains persos joignent votre cause sans
broncher, ou seront séduits par des espèces sonnantes et trébuchantes,
d'autres enfin vous confient des quêtes dont le succès garantira
leur présence à vos cotés. Outre les combattants vous pourrez
rallier des marchands de tous horizons, des experts en tout genre, quelques
uns ayant des capacités uniques totalement inutiles (mais poilantes).
Tout ce petit monde peuplera votre propriété qui prendra alors
des allures de Disneyland avec ses cracheurs de feu et ses montreurs d'ours
! Et n'oublions pas la séquence très chaude des bains collectifs,
bande de petits pervers, dans laquelle certain(e)s se laisseront aller à
des confidences... intimes.
De
longue haleine et de bon aloi
Les fans de la série Suikoden peuvent être rassurés, ce
cinquième opus est une réussite. Il conserve ses fondamentaux,
comme disent les joueurs de foot, en profitant d'une bonne remise à niveau
graphique. Toutefois il est entaché de quelques bévues qui empêcheront
les néophytes au genre RPG et les amateurs de prise en main immédiate
de s'y attacher. Il y a un déséquilibre flagrant dans le système
narratif, beaucoup trop lourd dans la mise en place de l'intrigue, laissant
trop peu de place au fun. Tout cela s'améliore grandement au fil du temps
mais toutes les personnes manquant de temps et d'envie pour s'investir auront,
à juste titre, déserté leur écran bien avant. A
l'heure où les grands studios de développement se débarrassent
(enfin) des systèmes de combats poussiéreux (combats aléatoires
inévitables, tour par tour rigide) et font un pas vers le grand public,
Suikoden V fait office de dinosaure dans ce domaine. Ce ne sera pas pour déplaire
aux aficionados nostalgiques et aux intégristes du RPG qui refusent le
changement. Cette volonté de placer l'histoire au dessus du gameplay
(comme d'autres séries, Xenosaga et consorts) assure au titre une durée
de vie élevée, probablement plus de 60 heures. Cela permet aussi
aux auteurs de jouer avec certains clichés et personnages récurrents
du genre. Pas d'adolescents amnésiques sauvant le monde à la force
du poignet, pas de frêles donzelles prisonnières attendant sagement
qu'on les délivrent, Suikoden raconte une aventure complexe peuplée
d'aventuriers/ières au background fouillé. Le programme est clair
: trahison au sommet de l'état, vengeance implacable, stratégie
politique de haute volée (toute ressemblance avec le gouvernement français
est purement fortuite ;-) .
Reste que techniquement le jeu alterne le bon et le médiocre. Pour un
titre de dernière génération Suikoden V ne tient pas la
route face aux mastodontes de Square Enix, mais Konami n'a pas l'armada de programmeurs
du studio aux mille Hits. Les écrans de chargement surgissant pour un
oui ou un non sont particulièrement énervants, et la fréquence
des combats aléatoires est légèrement crispante. Les menus
stricts et sans fioritures sont ternes, tout comme les décors qu'on ne
peut fouiller (un des plaisirs pourtant indémodables du Jeu de rôle,
soyons honnêtes). Ne noircissons pas le tableau, vu la quantité
de personnages qu'on croise la tâche s'annonce d'ampleur et le scénario
riche en rebondissements. Il y a une tonne d'équipement à récupérer,
dont les coûts prohibitifs vous obligeront à de nombreux combats
pour amasser un pécule conséquent. Les objets divers et délirants
pleuvent aussi, babioles pour la déco du château ou pour vos bains
moussants, ingrédients pour créer des mets succulents, partitions
pour les musiciens, etc.
Coté scénar on est motivé constamment
pour en savoir plus, en tant que Prince héritier notre moralité
est testée à plusieurs reprises par des questions à choix
multiples. Il faut être attentif aux réponses qu'on donne lors
de ses choix cruciaux, sous peine de voir le jeu s'arrêter brutalement
! Suivant vos réponses et vos relations avec les persos principaux plusieurs
fins sont d'ailleurs prévues. Voila qui nous change des histoires écrites
sur un bout de nappe au resto. Longue vie à Suikoden !
Jeu fini:
Suikoden m'a offert plus de 70 heures de jeu, ajoutez encore une dizaine d'heures
pour collecter les 108 persos (il m'en manquait personnellement encore une vingtaine
à la fin de l'aventure). Toute la seconde moitié du scénario
s'annonce particulièrement intéressant, plaçant le joueur
au centre d'affrontements politiques et de conflits militaires d'envergure.
La partie "fun" est maintenue pendant toute cette durée par
la recherche des héros cachés. Malheureusement les indices permettant
de recruter certains membres sont bien minces voire inexistants, obligeant le
recours à une FAQ. Un excellent épisode de la série et
un excellent RPG tout court.