Il était une fois un chef d'oeuvre.
Chaque
année les consoles nous offrent quelques perles parmi l'avalanche de
suites et de copies de jeux à succès. La PS2, sujet qui nous intéresse
particulièrement ici, a ainsi donné naissance à quelques
ovnis, certains se rapprochant de l'oeuvre méditative (ICO, Shadow of
the Colossus) ou musicale (Rez, Guitar Hero), d'autres franchement loufoques
(We love Katamari, Viewtiful Joe).
Okami, c'est un peu une synthèse de tous les éléments requis
pour entrer au panthéon des jeux cultes : un univers onirique délirant
et attachant, un graphisme original super chiadé, une jouabilité
à la fois simple et riche avec quelques audaces de gameplay. Plongeons
de suite dans le vif du délice en abordant les graphismes d'Okami : les
visuels sont tout simplement merveilleux, mélange de diverses techniques
(cell-shading et 3D), donnant un aspect d'estampes japonaises stylisées,
de la calligraphie en mouvement constant, aux couleurs pastels délicates.
Sans doute l'un des plus beau jeu de la console. Cette esthétique très
soignée, jamais vue sur PS2 auparavent, s'intégre totalement dans
ce conte racontant la légende de la Déesse du Soleil, Amaterasu,
prenant la forme d'un loup blanc pour affronter le Démon Orochi, le dragon
à huit têtes réclamant des sacrifices humains. Leur combat
cataclysmique mène à leur destruction mutuelle et la paix rayonne
à nouveau dans la contrée de Kamiki. Mais cent ans plus tard le
tombeau érigé en mémoire de ces Déités est
profané, libérant une nouvelle fois le chaos. L'univers est rongé
par la crasse et le fade. C'est le retour du loup rayonnant, accompagné
d'un artiste taille "Tom pouce" faisant l'interprète entre
notre Croc-Blanc muet et le monde extérieur...
Okami emprunte des héritages à de multiples styles de jeux. Action
pure d'abord, déplacements et combats en temps réel dans des décors
vastes et fournis, avec une bonne dose bien nerveuse de plateformes, double-sauts,
attaques/défenses au pad. Le coté Aventure est dignement représenté,
avec pléthore d'intervenants parfois un peu bavards, mais toujours inattendus
et savoureux. Comme par exemple Susano, ce guerrier barbu plus préoccupé
par la recherche d'une bonne planque que par la sauvegarde de son village, ou
Issun, votre lilliputien compagnon de voyage qui ne manque pas de faire des
commentaires salaces à chaque rencontre de sexe féminin.
L'exploration enfin, avec un nombre incroyable d'objets cachés et de
petites quêtes annexes. Des techniques spéciales acquises au fil
du temps permettent de débloquer les nombreux passages secrets. Fouiller
le sol à la recherche de perles ou de trèfles à quatre
feuilles, nourrir la faune environnante (des p'tits oiseaux aux chevaux), jouer
des parties de pêche endiablées en quête du poisson rare,
amasser les précieux trésors, tout cela est soigneusement comptabilisé
dans un menu très complet. De quoi rendre fou l'amateur atteint de collectionnite
aiguë, adepte du 100% à tous les objectifs ! On devra même
assembler des joyaux afin d'augmenter son niveau total d'énergie. Oui,
cette fois on en est sûr, la PS2 tient son Zelda !
"Par
le pouvoir du Pinceau Céleste, je détiens la force toute puissante!"
Ce
jeu est un hommage permanent à toute la culture japonaise, y compris
dans sa musique traditionnelle paisible et dans le message écologique
délivré. Votre but n'est pas tant de vaincre le mal, mais avant
tout de restaurer la flore, les arbres sacrés, bref, de sauver la nature.
Depuis la libération d'Orochi le monde est envahi d'ombres, de saletés,
de couleurs ternes. En qualité de Divinité incarnée votre
job principal sera de raviver les coloris, un peu comme la Mère Denis
(c'est ben vrai ça !). Et quoi de plus normal pour rendre au monde sa
teinte arc-en-ciel que de saisir un pinceau ?
C'est la grande idée d'Okami, et un autre savoir ancestral asiatique,
à tout moment vous pouvez figer le temps et plaquer le décor sur
une toile pour y dessiner des idéogrammes. Votre tâche principale
sera donc de découvrir tous les pouvoirs issus des 13 Divinités
vous prêtant main forte dans votre quête. Par exemple un simple
trait horizontal lâche un grand coup d'épée, vous permettant
de frapper les ennemis mais aussi de couper les rochers ou les obstacles en
bois. Tracer un cercle dans le ciel fera apparaître un soleil ardent,
un croissant la lune, dessiner un rond dans l'eau créera un nénuphar,
faire une boucle fera souffler la bise, etc. Pour apprendre chaque technique
vous devrez préalablement trouver l'emplacement du Dieu ou de la Déesse
dans la voute céleste puis pointer les étoiles avec votre Pinceau
pour l'activer. Une scénette à l'humour léger viendra alors
vous récompenser, votre ami Issun vous indiquant par la suite vos nouvelles
capacités.
Après quelques heures de jeu l'utilisation du pinceau devient instinctive.
On se préoccupe donc du maniement de notre héros canin. Défini
par une jauge de vie, l'énergie solaire, Amaterasu ("Ammy"
pour les intimes) maîtrise deux armes simultanément, qui changent
de fonctionnement suivant qu'elles sont utilisées en principal ou en
secondaire. Il faudra vous adapter en fonction des ennemis rencontrés
(attaque, défense, blocage, contre, etc). Jeu nippon oblige, un vieux
maître en Arts Martiaux se charge de vous apprendre de nouveaux coups
spectaculaires. En combat vous pouvez aussi utiliser le Pinceau Céleste,
dans la limite de votre jauge d'encre. Cette dernière se recharge avec
le temps, contrairement à votre niveau d'énergie qui nécessite
des objets de soins. On peut dessiner des bombes, zébrer le ciel pour
balancer des éclairs, aveugler les méchants en leur barbouillant
la tronche, leur renvoyer leurs projectiles pour les étourdir, les découvertes
sont constantes.
Les monstres errants parcourent la lande, donnant l'occasion au joueur d'admirer
les mouvements fluides des animations du décor et des corps. Lorsqu'on
entre en contact avec un adversaire, une barrière artificielle se crée,
formant une zone de combat. Le bestiaire propose un design d'enfer : joueurs
de musique sataniques, poissons morts-vivants volants, voltigeurs en cerf-volant,
tout est fait pour étonner et pour le plaisir de la contemplation. Et
je ne vous parle pas des Boss, pour ne pas gâcher les surprises, mais
là encore on sent toute la folie créatrice des auteurs.
Naïf
mais pas niais.
Avec
sa démarche artistique originale et ses options de jouabilité
osées, Okami se place indéniablement en dehors des sentiers battus.
Mais le jeu sait aussi emprunter aux classiques du genre, avec notamment cette
petite touche RPG par la présence de points d'expérience et de
monnaie engrangés à chaque bonne action que vous réalisez
: vaincre les monstres bien sûr, mais aussi refleurir le décor
d'un coup de pinceau (mille pétales de roses surgissent alors dans une
explosion de couleurs !), nourrir les animaux (en se procurant les bons aliments
suivant leur goût), creuser le sol ou donner des coups de boule Zidanesque
dans les éléments du décor. Dit comme cela on pourrait
croire que le jeu est niaiseux et brasse les bons sentiments comme un cartoon
de Disney. Au contraire Okami dégage cette même atmosphère
poétique et tranquille que ICO, pour le plus grand bonheur des joueurs
matures.
L'expérience acquise permet par la suite d'augmenter la capacité
de ses jauges de vie, d'encre ou de résurrection, rendant ainsi les combats
plus aisés. L'argent gagné vous permettra de refaire votre stock
d'objets de soins et de boost chez les marchands.
Dans chaque nouveau lieu que vous visitez des personnages vous confient des
petites missions rigolotes. Dans le premier village, en guise de didactitiel,
vous croisez une mémé passablement énervée. Elle
est en pétard car elle ne peut plus faire sécher son linge suite
à l'invasion des créatures du néant. Pour résoudre
l'énigme vous devrez tracer une corde entre deux poteaux pour que la
p'tite vieille puisse y accrocher son vieux panty, créer un beau soleil
pour chasser les nuages lourds et enfin dessiner un léger souffle pour
faire sécher le tout. Ah ! cela change des objectifs habituels dans la
plupart des FPS et RPG peu inspirés : trouver la clé rouge pour
ouvrir la porte rouge...
Le cycle jour-nuit est respecté, certains événements ne
se déclenchant que nuitament. Un prêtre vous demandera par exemple
de chasser des mini-boss faisant des balades nocturnes. Autre astuce, les rayons
lunaires montrent des endroits précis de ci de là, où Ammy
devra creuser pour déterrer des trésors.
Mythes
et Légendes du Soleil Levant.
Les
auteurs d'Okami ont puisé leur source d'inspiration directement dans
la religion Shintô, culte japonais proche du Bouddhisme. Ils reprennent
dans le jeu certains symboles comme les portails à l'architecture si
typique ou les équipements guerriers traditionnels de l'ancien empire
nippon. Même si leur message écologique est clair, aucune leçon
pesante de morale ne nous est imposée, à la différence
de certaines autres productions en provenance du même pays. Mieux encore,
le scénario est prétexte à de nombreux clin d'oeil et situations
au second degré, pour notre plus grand plaisir. Même chose coté
sons, les dialogues sont baragouinés dans une langue inventée,
évitant cette mode un peu vaine de mettre des voix d'acteurs et d'actrices
connus pour mieux "vendre" le jeu. Reste simplement l'ambiance sonore
discrète (le vent, les z'oziaux, les aboiements d'Ammy). Les musiques,
adaptées de l'art du théâtre Nô, sont à base
de tambours et de flutes, et restent parmi les plus originales qu'on ait entendu
dans un jeu vidéo.
Les précédentes tentatives en matière de jeux cultissimes
sur PS2 avait un défaut majeur, leur durée de vie assez maigre,
autour de la dizaine d'heures. Okami, en digne héritier des mythiques
productions de nos amis de chez Nintendo, en propose une bonne trentaine au
bas mot. En ajoutant la possibilité d'y retourner une fois l'aventure
terminée pour ratisser les environs à la recherche du dernier
artefact qui vous avait échappé, car Okami regorge de coins bien
planqués, des cavernes souterraines les plus profondes aux cîmes
les plus hautes des montagnes.
Les temps de chargement sont courts et finalement plutôt rares vu la taille
de certaines zones, sauf lors de la visite des villages où l'on subit
un bref "loading" à chaque entrée dans une bâtisse.
Passé une douzaine d'heure de jeu des points de téléportation
permettent de changer de location rapidement, et c'est heureux vu la taille
de la carte !
On ne cesse de prédire la fin de la Playstation 2 depuis environ une
année, et plus encore en cette fin 2006 où la Xbox360 sort sa
seconde génération de jeux (avec enfin du RPG Japonais mirifique)
et où Nintendo dégaine son incroyable Wii. Nous autres pauvres
petits Européens n'auront même pas droit à la PS3 avant
Mars 2007 (si tout va bien !), mais avec des jeux de la trempe de cet Okami,
pas besoin de next-gen avant longtemps ! Le jeu de Clover Studio est de ces
titres qu'on citera en exemple dans quelques années comme faisant partie
de nos plus belles expériences de Gamers sur la console de Sony. Chapeau
bas, les artistes.

Jeu
fini :
Contrairement à l'estimation que j'en faisais dans mon test, la durée
de vie d'Okami est bien plus élevée que les trente heures, s'approchant
plutôt de la cinquantaine. Et mis à part une petite redite lors
de l'affrontement final, où l'on doit préalablement combattre
à nouveau les Boss précédemment croisés, les auteurs
prennent soin de ne pas ennuyer leur auditoire, ce qui est rare dans un jeu
d'action de cette durée. On nous ballade des profondeurs des océans
jusqu'aux cieux, des cavernes traversées de lave en fusion aux hameaux
perdus dans la neige. Malgré la quête ultra-sérieuse proposée
aux deux héros Amaterasu et Issun, l'humour est omniprésent, c'est
par exemple le seul jeu au monde (à ma connaissance) où on devra
vaincre un Boss en l'enivrant à coups de Saké !
Les rencontres
avec les persos et les situations sont toujours surprenantes (visite d'un corps
humain par exemple), et le nombre de bonus cachés hallucinant. D'ailleurs
tout est fait pour motiver le joueur à rejouer une fois la partie terminée,
avec une bonne quantité de surprises (dessins, musiques, vidéos,
nouvelles apparences pour Ammy). Même si la difficulté des combats
n'est guère élevée pour cause de trop plein d'objets de
soins, ce jeu reste tout bonement démentiel et s'inscrit dans la lignée
des Classiques de la PS2, toutes catégories confondues !